Clandestins
Par Agate le dimanche 7 juillet 2019, 23:51 - Saison 2019 - Lien permanent
Ils étaient quatre, il y a trois jours, dans l'eau jusqu'à la taille, en train
de pousser leur embarcation dans la marée montante au milieu la baie. L'un
d'entre eux a désespérément utilisé un bout de pagaie pour la faire avancer. Le
moteur relevé sur le tableau arrière signale l'origine du problème. Une fois de
plus, Nimic est en train de manoeuvrer pour ajuster le mouillage qui
tient mal au moment de la renverse de vives-eaux. Je viens juste d'envoyer
l'ancre par le fond, je les vois en relevant la tête, à deux cents mètres. Je
fais un signe et crie : "Vous avez besoin d'aide ?" Le concert de leurs
voix indique qu'ils sont étonnés de mon souci, et qu'ils se débrouilleront bien
tout seuls. Tout de même, je vois que pour rejoindre le rivage avec leur stock
de palourdes arrachées à la lagune, ils vont être obligés de nager en poussant
la barque. La brise thermique s'est méchamment levée contre le courant, le
clapot est puissant. Je passe un appel sur la VHF du port pour signaler leur
situation. Pas de réponse.
Le lendemain, l'un de ces pécheurs à pied était à vingt mètres du bateau, dans
cette activité qui me sidère. Pendant des heures en suivant la ligne de fond
accessible entre fin de jusant et début de flot, ils baignent dans l'eau
jusqu'à la poitrine, creusent la vase autour d'eux à l'aide d'une spatule
tamisée à long manche et versent leur butin de coquillages dans une hotte sur
leur dos. Certains même fument. Celui-ci, me voyant émerger sur le pont, me
lance un joyeux : "Eh bonjour, tu as besoin d'aide ?". Nous échangeons des
encouragements ;)
En touchant terre pour ma douche du jour, pourtant, je tiens à demander au
marin du port s'il a entendu mon appel de la veille. Comme pour éviter de
répondre, il explique : "Ce sont des illégaux, ils vendent leur pêche aux
restaurants du coin sans respecter les procédures d'assainissement. Les
coquillages doivent passer trois mois en viviers avant d'être consommés." Bien
sûr, il ne me serait pas venu à l'idée, sauf en extrême urgence, de manger les
produits naturels de ces eaux polluées par l'environnement humain. Mais bon,
est-ce une raison pour abandonner des personnes en danger ? Ce sont des
illégaux, répète encore hier l'un des moniteurs de l'école de voile, en train
de poser des bouées pour l'entraînement d'optimist féminin dont les parcours
démarrent à cinquante mètres de Nimic. Il voulait éliminer une petite
bouée de signalisation manifestement posée là par les pêcheurs pour marquer la
limite du domaine accessible à pied. Je l'ai néanmoins convaincu que par effet
miroir, cette bouteille en plastique donnait une indication précise sur la
bonne zone de mouillage.
Aujourd'hui que Nimic est enfin mouillé sainement, et que les
coefficients décroissants vont rendre le séjour plus confortable, j'ai pris le
temps de regarder le ballet des pêcheurs à pied à marée basse. J'ai constaté
qu'il y en a deux clans différents. Ceux qui débarquent du village de Seixal et
y rentrent en sécurité dès que la mer commence à couvrir. Et ceux qui
surgissent du bois d'Amora, plus nombreux, moins bien équipés, et surtout plus
colorés. Associé au souvenir des bidonvilles d'immigrants que j'ai vus là-bas
au cours de mon tour de la baie, ce détail donne un double sens à la notion
d'illégalité et de non-assistance à personne en danger. En voyant passer vers
Amora leur canot lourdement chargé de sept hommes et femmes aux discussions
animées, resté.e.s jusqu'au dernier instant à compléter la cargaison de vivres
fraîches pour leurs familles, je me suis dit qu'ils avaient probablement vécu
des traversées autrement difficiles avant d'échouer ici.
Commentaires
Bonjour Gaït, c'est toujours avec grand plaisir que je jette un oeil sur ton blog, ça va, c'est pas trop dur la navigation solo ?
À+
Philippe
Réponse : Salut Philippe de Mikeno, ça fait plaisir ! La navigation solo c'est plein de vrais bonheurs et quelques moments de stress : on déroule les manoeuvres comme on a appris, sans se presser, et ça passe très bien. Le plus difficile, c'est la gestion du projet quand on n'a pas le niveau de finances confortable... Les petites réparations peuvent devenir de réels problèmes :) A quand le départ de Mikeno ?
Le refit de Mikeno aurait dû être terminé à la fin du mois, mais le chantier a pris encore du retard donc si c'est pour fin août, ça va aussi car je vais passer des vacances avec ma moitié les 2 dernières semaines de juillet et d'août, je pense donc le mettre à l'eau fin août début septembre ensuite naviguer de Lorient à La Rochelle pour faire installer mon régulateur d'allure et après remonter sur Anvers pour l'amener à Bruxelles où je compte finaliser l'équipement, le départ est prévu pour l'été prochain. Maintenant, j'ai du temps car je suis enfin à la retraite. Je te souhaite bon vent et belle mer.
Agate :