Longue vue pour un dégolfage
Par Agate le jeudi 6 décembre 2018, 13:41 - Saison 2018 - Lien permanent
Sur Nimic II, on a l'oeil coincé sur la fenêtre météo qui semble prête
à s'ouvrir dans la journée de dimanche. On sort des gribs tous les matins, et
on compare les variations de prévision que proposent les modèles déboussolés
par le changement climatique. Pour nous, l'enjeu est d'atteindre le large de la
Corogne, puis le sud de la péninsule ibérique, sans rencontrer de forts vents
défavorables, et si possible avec une mer accueillante. En langage sud-breton,
ça s'appelle 'dégolfer en douceur'. C'est que, s'il assure une relative
clémence des températures, le suroît qui domine actuellement installe une forte
houle de face possiblement croisée par les fluctuations, et obligerait à tirer
des bords jusqu'à la Corogne si on se lançait maintenant.
Mais la dépression qui avance vers le nord de l'Irlande s'accompagnera chez
nous d'une phase de noroît, virant au nordet par le nord, des conditions
nettement plus favorables pour quitter l'Herbaudière. L'idée est de franchir la
pointe nord de l'Espagne trois jours plus tard, juste au moment du passage du
front de la nouvelle dépression : après un tour complet du cadran, les
vents repasseront au noroît et nous propulseront alors vers le sud. Etre au bon
endroit au bon moment, un rendez-vous à ne pas manquer à trois heures
près.
Toute cette belle construction est largement théorique. Elle pourrait être
remise en cause par l'incertitude sur la vitesse du bateau, l'imprécision des
cartographies proposées et surtout par la versatilité de plus en plus grande
des prévisions dans le temps. Quant ne s'y ajoutent pas les interprétations
différentes selon l'école de météolorogie qui les a mises en forme... Autant
dire que si nous partions effectivement dimanche, comme nous le souhaitons
aujourd'hui, rien ne dit que nous rencontrerions les conditions espérées, et
donc que nous arriverions à bon port (les Canaries ?) dans la quinzaine qui
suivrait. Il y a toujours des solutions de repli en Espagne et au Portugal, et
on a déjà vu des départs se solder par des retours au port sous quarante-huit
heures. La voile n'est pas une science exacte. Ce qui n'en fait pas pour autant
une activité de charlatans, ni même une illusion collective.
On aurait bien aimé, avant de dégolfer, se convaincre que nos politiques et nos
concitoyens sont arrivés à la même perspicacité. On peut en douter. Pour
exemple, les travaux herculéens entrepris dans le port de l'Herbaudière par
l'équipe des gilets oranges locaux. Il s'agit de remplacer les vieux pieux
d'ancrage des pontons par des pieux tous neufs, une opération qui bloque le
port pour trois mois au moins. Quoiqu'on en ait cru, le bureau d'études qui y
préside n'a pas jugé utile de rallonger d'un ou deux mètres les pieux pourtant
arrivés au bout de leur capacité à l'occasion de la tempête Xynthia. Est-ce
courte vue scientifique (l'économie, la météorologie), pensée magique (anne, ma
soeur anne, ne vois-tu rien venir ?), ou manifestation bien comprise des
intérêts d'un petit nombre de décideurs qui surfent sur le conjoncturel parce
qu'ils pensent qu'ils se tireront toujours du structurel (pince-mi et pince-moi
sont dans un bateau...)?
Bonne traversée à tous, gardez l'oeil !