Vous connaissez Bahia Solano ?
Par Agate le samedi 22 octobre 2022, 19:18 - Saison 2022 - Lien permanent
Moi non plus, jusqu'à ces jours-ci !
Le moral n'était pas au beau fixe en partant de Panama : trop de dissonance entre mes aspirations à la tranquillité et les pratiques locales, trop d'incertitude sur les escales à venir au Costa Rica. Mais on est parti, entre les cargos qu'on avait côtoyés dans le Canal et les grains qui s'amoncelaient.
C'est là que l'imprévu de toute route à la voile s'impose : l'accroche de la capote de la descente lâche, alors que je cherche une route au plus près et que des litres d'eau salée risquent d'entrer dans le carré à chaque vague un peu forte. Il va falloir modifier les plans.
Descendre le vent, ce qui nous mènera... en Colombie ! Heureusement que j'ai la carte d'Amérique du Sud sur mon traceur, ce qui me permet d'identifier sur des centaines de milles de côte à jungle un seul endroit avec quelques phares, droit à l'Est sous le vent, très isolé mais habité à l'évidence. Un village de pêcheurs pour touristes, me dit G.P. Parfait, des ouvriers traditionnels pour un vieux bateau comme Nimic !
Sous l'attention lointaine d'un navire 'en opérations militaires' on y arrive grand largue poussés à sept noeuds de moyenne par la houle du Pacifique dans la nuit de lundi à mardi. J'y mouille à l'oreille suffisamment loin du ressac et néanmoins à profondeur ad-hoc sur une langue de sable à raz de la mangrove.
Le lendemain, stupéfaction : nous sommes tout à l'opposé de ce qu'indiquait la position GPS sur le traceur. D'ailleurs, comme j'ai décidé de nous rapprocher du ponton des pêcheurs, je vais choisir la position au sondeur : selon la carte Garmin c'est à trois cents mètres à l'intérieur des terres que Nimic II est maintenant mouillé depuis plusieurs jours.
Le village de Mutis est donc bien caché au fond de la baie de Solano. Et je vais rapidement découvrir que c'est en fait la métropole locale, avec toutes les administrations ad-hoc : capitainerie, services de l'immigration, agence de tourisme, et même une base militaire qui fait retentir tous les jours le même genre de battements de tambour que ceux qui nous protégeaient à la marina Shelter Bay à Panama. Il faut croire que ces deux voisins-là ne s'aiment guère. J'ai eu droit en première vague à l'attention de l'Armada Nacional, label sous lequel naviguent les garde-côtes qui ont tout de même - courtoisement - passé une demi-heure sur le bateau à soulever tous les planchers pour s'assurer que je ne transportais pas de cargaison illicite ! Un comble, lol
Le temps s'écoule lentement depuis, entre les incertitudes de l'administration et la pluie incessante plusieurs heures d'affilées chaque jour.
Pour l'instant mon passeport est toujours entre les mains des fonctionnaires de l'immigration, qui ont dûment enregistré à la main toutes mes informations, mais attendent que le système informatisé d'identification automatique veuille bien fonctionner. Je viens de me faire connaître au Consul de France à Medellin, qui n'a pas l'air inquiet : "Ils viennent de changer de gouvernement, les administrations sont un peu perdues..."
Première victoire, Nelson, le charpentier de marine, né ici comme environ la moitié des six mille habitants, vient de quitter le bateau après avoir posé le barreau de remplacement de l'accroche de la capote sur le pont. Il ne reste plus qu'à trouver les artistes qui apporteront une solution aux caprices de la pompe de la nourrice et ou aux fuites des panneaux d'aération sur l'avant du bateau. Et que je vérifie l'étanchéité à l'eau de mer des bondes des réservoirs d'eau douce (message pour Timour...!)
Entretemps, je visite ! Pas une voiture à Mutis, juste des camions pour les transports de marchandises, des tracteurs pour mener les bateaux au ponton, et une nuée de triporteurs à l'indienne pour les habitants qui veulent s'épargner les quelques centaines de mètres entre les différents points du village. Pour le reste, les déplacements se font en bateau, y compris aller à l'école ! Ah, oui, il y a un hôtel pour les touristes qui arrivent en avion - construit par Pablo Escobar pour soigner ses amis à la belle époque, et c'est peut-être là que je pourrais prendre une douche ou faire laver mon linge...