Déjà, à Baiona, ça m'avait démangée : faire le tour de la baie à pied. J'y
avais renoncé à cause de l'impossibilité de traverser le goulet au retour de
mon équipée. Ici, à Seixal, le marin du mouillage a accepté de me déposer à la
pointe des Corbeaux, le bout de la langue de sable au nord de la ria où
Nimic est actuellement sur coffre - tout en m'avertissant que le
périple risquait d'être éprouvant. J'ai mesuré, il y a environ trois kilomètres
depuis l'entrée du chenal de Seixal jusqu'à l'extrémité ouest de la lagune, où
s'élèvent les immeubles d'Alfeite, la banlieue populaire d'Almada, ville de la
marine portugaise. Pas de quoi fouetter un chat, me dis-je, ça va me dégourdir
les pattes après tout ce temps sur le bateau. J'en profiterai aussi pour
récupérer au chantier naval d'Amora, juste en face dans la baie, un boulon pour
remplacer celui qui j'ai malencontreusement laissé choir à la baille en
cherchant à remonter le tabouret - modifié - de l'hydrogénérateur.
Après le choc esthétique en découvrant la grande plage ouverte sur la 'mer de
Paille', baie intérieure de la ria du Tage, je n'ai pas raté l'occasion
d'examiner directement les lieux de l'incendie de ces derniers jours.
Herbes sèches semées de détritus. Bâtiments industriels squattés. Marais
salants à l'abandon, avec tags pour leur protection. Tous les ingrédients d'un
désastre économique, écologique et humain. Ricardo, le marin du port, m'a
expliqué que la friche industrielle des anciens séchoirs est détenue par
plusieurs conglomérats qui ne trouvent aucun accord, ni pour leur vente ni pour
leur réhabilitation. Pour compliquer encore la situation, la partie nord du
banc de sable, là où j'ai entendu des manoeuvres militaires au matin de mon
arrivée, est un domaine public détenu par la marine.
Une fois satisfaite de ma collection de photos, je me suis lancée bravement sur
la piste. Pour découvrir la réalité de la vie locale. Edifiant. Absence du
moindre équipement pour piétons. Pistes cyclables, voies de trams ou viaducs
d'autoroutes stoppés à mi-construction. Zones commerciales truffées de marques
françaises, accessibles uniquement en voiture. Bidonvilles en contreplaqué et
tôle ondulée, accolés à des jardins ouvriers, au pied d'immeubles futuristes.
Equipements (dé)polluants au milieu des zones d'habitation. Monuments anciens à
l'abandon. Globalement, une activité bourdonnante bénéficiant à un petit
nombre. Et toujours un accueil ouvert et chaleureux. Sauf à la quincaillerie
tenue par une famille chinoise, où l'on a voulu me faire admettre que leur
boulon en ferraille était exactement identique à celui, en inox marine, que je
leur exhibais. Heureusement, le chantier d'Amora en détenait bien un
exemplaire. Et j'en ai trouvé un autre dans les fonds du bateau en rentrant
;)
Tout compte fait, le tour de la baie de Seixal, sans me presser, mais les
jambes bien lourdes sur la fin, m'a pris presque sept heures de crapahut dans
la brousse et de déambulation en front de mer